vendredi 16 juillet 2010

Mais que cherche le maire en imposant le jumelage de Saint-Mandé avec Akko ?

Notre indignation partagée devant les méthodes de voie de fait utilisées par le maire et les membres de sa majorité conduisent les élus socialistes et Verts à écrire cet article en commun.

Le 22 juin dernier, à la fin du conseil municipal, aux alentours d’une heure du matin, le maire a abordé dans la rubrique « questions diverses » le sujet des relations extérieures de Saint-Mandé, à savoir le jumelage débattu depuis longtemps avec une ville irlandaise, un « partenariat amical » avec une province de Corée du Sud (à mettre en relation avec le fait qu’il est membre du groupe d’amitié France-Corée à l’Assemblée Nationale), et un jumelage avec la ville israélienne d’Akko (ou Saint-Jean d’Acre), demandant aux conseillers présents de voter sur l’heure, alors que ces questions n’avaient pas été inscrites à l’ordre du jour et que les conseillers ne disposaient pas d’éléments.
Les conseillers d’opposition (socialistes, Verts et communiste) ont refusé la tenue de ce vote qui se serait déroulé dans des conditions entachées d’illégalité, entraînant la fureur du maire et d’une partie de sa majorité.
Si le bien fondé d’un jumelage avec l’Irlande nous paraît évident, si un « partenariat amical » avec la Corée du Sud nous laisse dubitatifs bien qu’il soit habillé de protection de la biodiversité, un jumelage avec une ville israélienne nous semble pour le moins peu pertinent.
Les arguments du maire sont les suivants : ville multiculturelle (30 % de la population est arabe), au passé chargé d’histoire, avec une population francophone en augmentation du fait de l’installation récente de Français venus s’y installer, Akko entre en résonance avec Saint-Mandé grâce à la proximité du château de Vincennes qui évoque le « glorieux » temps des Croisades et la présence française en Terre Sainte ! Ce jumelage permettrait de contribuer au dialogue et de faire avancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Nous, conseillers de l’opposition, sommes bien évidemment en faveur de toute initiative qui permettra d’aboutir à ce que ces deux nations se parlent et puissent vivre l’une et l’autre en paix, dans des conditions justes et équitables.
On ne fait la paix qu’avec ses ennemis, c’est pourquoi comme nous l’avions déjà proposé au maire il y a deux ans, tout jumelage avec une ville israélienne doit pour nous s’accompagner d’un jumelage conjoint avec une ville palestinienne. Et ces jumelages doivent faire l’objet un programme d’actions conjointes validées par les trois parties. Ce n’est certes pas facile, mais le dialogue entre deux nations en conflit n’est jamais facile et la recherche de la paix est à ce prix ; d’autres villes françaises ont tenté le pari et se sont engagées dans de tels jumelages.
Par ailleurs, nous nous demandons si le choix de la ville d’Akko est le plus pertinent et nous nous interrogeons sur les critères qui ont présidé à ce choix. A notre connaissance, l’association Cités-Unies France, qui a vocation à proposer des jumelages entre villes sur des critères objectifs, n’a pas été saisie.
Par ailleurs, Akko, qui est une ville de 53 000 habitants (deux fois plus importante donc que Saint-Mandé), est déjà jumelée avec La Rochelle avec laquelle elle présente de nombreuses similitudes : villes fortifiées au riche passé historique, ouvertes sur la mer et qui ont la même importance démographique.
Ensuite, l’argument de la multiculturalité est irrecevable lorsque l’on sait comment est traitée la minorité arabe israélienne dans cette ville ; citoyens de seconde zone comme dans les autres villes "mixtes", en fait comme dans tout Israël, cette population est en butte à des discriminations de l’Etat et de la municipalité : des budgets plus restreints, des services d’éducation moindres, des habitations plus pauvres, des quartiers surpeuplés. Et dans la vieille ville d’Akko, ces politiques municipale et nationale, sous couvert de rénovation et de mise en valeur des quartiers, tendent à convaincre les habitants arabes de quitter leurs maisons afin d’être relégués ailleurs. Les représentants de cette communauté subissent ainsi des discriminations qui remettent en question leur existence et leur avenir, entraînant un sentiment profond de frustration, d’injustice et d’impuissance.
La cohabitation est tellement difficile qu’elle a entraîné en octobre 2008 de très violentes émeutes entre les communautés arabes et juives, radicalisées par les extrémistes religieux des deux bords.
C’est une des raisons qui nous font refuser ce jumelage, en tout cas s’il n’est pas assorti d’un autre jumelage avec une collectivité palestinienne.
Nous savons que la société israélienne est traversée par le doute et que tous les Israéliens ne se reconnaissent pas forcément dans la politique absurde et dangereuse de leur gouvernement. Nous savons combien est riche l’expression artistique en Israël, que ce soit le cinéma, la littérature, la musique, etc. Nous savons que nombre de ces artistes et intellectuels sont honnis par le gouvernement parce qu’ils révèlent à la face du monde des vérités dérangeantes, et qu'ils sont pourtant l’honneur et la conscience de ce pays qui doit cesser de s’aveugler sur lui-même. Ce sont eux, associés à des artistes palestiniens, que la ville de Saint-Mandé devrait promouvoir dans une démarche de dialogue et de longue marche vers la paix.

Geneviève Touati, Benoît Ains, Brigitte Arthur et David Gréau
Tribune publiée dans Saint-Mandé Infos n° 162 (juin/août 2010), p. 48-49